Partie II - chapitre 7

VII Seul dans la nuit

Le bruit de ses pas, glissés et sûrs, conquérants, résonnaient alentours dans le champ silencieux du quartier résidentiel récent qu'il avait choisi pour sa promenade. Pour une fois, il avait laissé le Hub et la faille sous la surveillance de ses équipiers et s'était offert une soirée de paix. Même son bracelet de cuir avait quitté le contour de son poignet. Choix dangereux mais au ô combien libérateur. N'être qu'un corps marchant dans la nuit...
Ianto avait reçu le bracelet de cuir en gage pour quelques heures. Ses yeux incrédules n'avaient pour autant pas demandés d'avantage. Si Jack faisait ainsi, c'est qu'il en avait besoin. Le tee boy était devenu pire qu'un mari ou une femme, juste une extension de son âme. Il sourit...

Minuit, une petite brise de printemps, chaude, douce, rassurante. Les lampadaires à iodes soulevant par mélopées lumineuses l'obscurité ambiante. Aucune voiture. Rien que le bruit de la ville quand les humains l'abandonnent dans leur sommeil. Le manteau des surplus militaires atterrit sur son bras gauche, il faisait trop doux, l'air méritait la surface de sa peau...En bras de chemise et pieds nus, il laissa l'invisible le nourrir. Sa peau s'étira comme allégée, chacun de ses muscles demanda sa part d'épiphanie.
Le bitume tiède hérissa les sensations de Jack dans chacune de ses aspérités.Il marchait au milieu de la route, fermant les yeux à demi. Ses pas allongés trouvaient leur sens dans cette déambulation à l'aveugle, comme s'il pouvait durant quelques secondes sans remettre en toute confiance à l'univers...
Une vrille de plaisir traversa sa colonne vertébrale, il s'arrêta.
Le point magnétique où il se trouvait s'empara de sa plante de pied, de ses nerfs, de ses muscles, remonta le long de ses jambes, hérissant poils et épiderme , le torse se bomba ivre de vie; l'énergie terrestre se servit de sa verticalité comme d'une antenne. Elle transperça les capteurs sensorielles de son échine, accélérant ses processus vitaux, comme si l'énergie avait soif de l'intégrer dans sa course folle vers les cieux. Il devint à la fois l'intérieur et l'extérieur, le visible et l'invisible, le plaisir et la conscience du plaisir...comme une droite vit dans l'instant la liberté de son accélration insatiable vers l'infini.
Un soupir long et profond l'ébranla.
Il réouvrit les yeux, ses mains, paume tendue vers le sol, avaient laissées tomber chaussures et manteau. Elles aspiraient encore l'énergie que le sol lui donnait. Il prit conscience de leur soif de peau, d'eau, de vie, de contacts. Elles lui faisaient presque mal, trop sensibilisées et avides du flux qui l'irradiait. Cependant l'accélération énergétique poursuivait son oeuvre...
Sa tête tourna d'un quart sur la gauche. Deux yeux phosphorescents observaient la scène, comme en un hommage sacré. Le chat tigré quitta sa pause et se sauva, découvert. Jack voulut le rattraper puis renonça. Les feuilles des arbres alentours poursuivaient leur lent clapotis comme autant de mains tendues vers lui. Il se rappela l'affaire en cours : meurtres non élucidés, branche d'arbre tombée. Mal à l'aise, il reprit ses affaires et déglutit avec amertume. Devait-il laisser la Nature se venger ?
Une phrase d'un roman de Franck Herbet lui revint : « le dormeur...le dormeur doit se réveiller »...

Tout à ses réflexions, Jack arriva par la dalle magique du hub. Ianto choisit ce moment -là pour aborder la question :
- C'était quoi , ce baiser ?... Avec Alice, l'autre jour ?
Jack se mordit la lèvre inférieure. Etait-ce bien le moment !

- Rien d'important... Un coup de bleuff. Je voulais la faire taire et je n'ai trouvé que ça ! Dit-il d'un air vraiment embarrassé. ..Elle est pénible quand elle s'y met ! Lâcha -t-il... Pire que moi !
- Ah ! Ianto esquissa un large sourire dont se reput Jack. Rappelle -moi de te saouler de paroles plus souvent... Les yeux du capitaine se parèrent de lueurs moqueuses et amusées.
- Jack, sur ta gauche !

Gwen lui tendit un rapport sur les derniers meurtres...